28 juillet 2002

Boutiques

Avant de partir, j'ai fait un tour dans les boutiques d'Istiklal : dommage que je ne sois pas très fringues, il y a des affaires à faire déjà ici, alors dans les autres quartiers... Puis retournée au Galatea, où malgré l'affluence ils avaient réservé ma table - vu que j'avais vaguement promis de repasser - avant d'aller acheter un stock de noisettes pour l'avion : en ce moment, elles sont à peine mures, juste comme je les préfère. A l'aéroport, les cigarettes en duty free sont plus chères qu'en ville : ils affichent les prix en €... et reconvertissent en lires en comptant un taux de change pas spécialement avantageux ! Dans l'avion, le blues qui est là par intermittence depuis 2 jours me reprend, devant Istanbul qui devient ville de poupées avant de disparaitre. C'est à chaque fois la même chose : j'ai un mal fou à partir ! Heureusement que cette fois, ce n'est pas pour trop longtemps...

Rions un peu

Tiens, marrant que tu parles d'Öcalan (au passage, le pauvre James n'a pas mérité ça), moi j'ai vu deux de ses sbires ! Toujours aussi courageux le Parti : zont attendu que je sois seule (of course) pour venir me demander quand je partais... A première vue, ils avaient l'intention de m'encourager vivement à le faire, mais ça s'est terminé (comme d'hab) en cafouillage bredouillant, suivi de la retraite piteuse et passablement précipitée dont le PKK est coutumier. Je serais curieuse de voir le rapport sur le splendide morceau de bravoure qu'ils n'ont pas dû manquer de faire à leurs chefs (qui n'ont pas pris le risque de venir m'affronter, eux, en direct). Ca doit avoir une vague ressemblance avec le récit des hauts faits de Rasit expliquant à qui voulait l'entendre (une fois en sécurité) comment il a - de toute sa taille de roquet - imposé silence à Ahmet Zeki, Mustafa et Mihemed à DOZ !!! Enfin là, je ne sais pas de quoi ils ont eu le plus peur : de moi ou du réceptionniste qui était devant l'hotel et qui m'a saluée du haut de ses 1,30 m ! Remarque je suis méchante, vu qu'il y a quand même de l'amélioration : cette fois-ci, ils ne s'y sont risqués qu'à 2 !!!

Ulysse

Pauvre James ! Voilà : je lui confie un de mes grands amours et elle manque le transformer en merguez. Ce n'est pas parce qu'Öcalan a juré qu'Ulysse était un de ses livres de chevet (il cale le pied droit du chevet de sa chambre, en fait) qu'il faut le transformer en martyr flambé au whisky !

25 juillet 2002

OVNI

Apres un apres midi bien rempli, je décide de flaner un peu dans le quartier : il devient vraiment de plus en plus sympa et ça tombe bien, j'ai trouvé l'agence immobiliere du coin. Ils ont quelques locations intéressantes en vitrine avec des prix abordables, mais a coté de Paris, c'est vrai que tout parait abordable. De toute façon, faudrait voir sur place l'état de ce qu'ils proposent, les mauvaises surprises étant courantes...
Diner en plein air en tete a tete avec James Joyce dans une petite rue piétonne perpendiculaire a celle de l'hotel. Les serveurs en chef sont en bleu, les autres en jaune. Les jaunes n'ont visiblement pas l'autorisation de m'approcher (pour les autres tables, ils peuvent) et 3 bleus se relaient en permanence pour s'occuper de moi, pendant que 2 françaises a la table d'a coté essaient vainement d'attirer leur attention. Il y en a meme un qui tient a découper mon poisson : c'est gentil, mais il a surtout réussi a disperser les aretes dans la chair... Ils sont tellement empressés que je crains un instant qu'ils ne se proposent pour me le pré-macher mon poisson ! Celui qui m'a allumé une bougie (''for you'' qu'il a dit) a failli mettre le feu a James et je me fais gronder par un autre parce que j'ai allumé ma clope toute seule avec MON briquet...
Ce matin, la curiosité me pousse a visiter le musée des UFO (OVNI) : l'entrée est a 4 millions, et le réceptionniste ne comprend pas pourquoi je refuse d'etre étudiante ou prof, ce qui lui aurait permis de me vendre un billet demi tarif. Il n'y a visiblement pas d'autres visiteurs et je ne suis pas sure qu'ils en prévoyaient, vu que je dois attendre quelques minutes, le temps qu'ils allument le parcours. On me précise que je peux prendre des photos... Je veux bien, mais de quoi ? L'expo consiste principalement en un étalage de coupures de presse en turc et en anglais. Les premiers panneaux tentent de démontrer que la plupart des cultes anciens étaient destinés a rendre hommage aux aliens, les divinités égyptiennes ou autres n'étant en fait que la reproduction des copains de ET. Suit une collection d'articles de journaux, photos a l'appui, pour prouver que le phénomene est bien réel et qu'il a été observé a de nombreuses reprises a travers toute la planete. Yeni Asir du 13/06/2001 m'apprend qu'un OVNI a été repéré également en Turquie : une caméra de la Turkish polis de Gaziantep l'a meme imortalisé ! Faut beaucoup d'imagination pour voir un vaisseau de l'espace dans la ''preuve photographique'' qui accompagne l'article... je ne dois pas en avoir assez, et la reconstitution de l'otopsi de l'alien de Roswell n'arrive pas plus a me convaincre, mais son gout plus que douteux me fait passer un bon moment. En sortant, le jeune a l'accueil me supplie presque de participer a une campagne de signatures : je souscris (sous un nom bidon) ; dommage que mon anglais approximatif ne m'ait pas permis de déterminer si j'avais signé pour ou contre E.T. !

24 juillet 2002

Papotages

Hier, apres l'internet café, je retourne a l'hotel pour prendre mon matériel. J'hésite encore entre balade sur le Bosphore et les iles aux princes. Coup de fil de Rino, ce qui regle la question : ce sera cafés pour une bonne partie de la journée et papotages avec des Turcs d'origines diverses. Quand je dis une bonne partie de la journée, c'est pour la forme, a moins de considérer que rentrer a 5 heures du mat fasse partie de la meme journée... Sur le chemin du retour - vu l'heure, j'ai accepté une escorte - ils dénigrent bien évidemment mon hotel. Avec eux, faudrait passer son temps à changer pour aller dans un qu'ils connaissent : moins cher, plus mieux... j'ai autre chose a faire. Le réceptionniste - qui m'avait vue rentrer a 21 h avec une satisfaction évidente, et ressortir a 22 avec un étonnement douloureux - est carrément mort d'inquiétude. Il a l'air tellement soulagé de me voir rentrer que je me demande si je n'aurais pas du passer un coup de téléphone pour prévenir que les aliens ne m'avaient pas enlevée... mais rendre des comptes sur mon emploi du temps a un hotelier - fut-il turc ou kurde - franchement, j'hésite un peu ! A part ça, le cours de l'euro hier était : 1 650 000 TL... et j'ai un probleme épineux a résoudre : comment apporter ici mon 400 qui n'a aucune chance de passer inaperçu - sans que ce soit pris pour de la provoc - Minolta ayant eu la facheuse idée d'appeler sa gamme APO !?!

23 juillet 2002

Premier matin seule

Ce matin, je suis prete a 8 h 30 : la marmotte étant a Paris, je vais pouvoir profiter d'Istanbul plus tot (j'adore cette ville) au lieu d'attendre qu'elle émerge.
Petit dej au Barcelona - le serveur qui n'a pas l'habitude de me voir seule est brusquement intimidé - avant d'aller me renseigner au Consulat pour des cours de turc. Evidemment, personne n'est au courant et certains me regardent d'un air perplexe en se demandant ce qu'ils ont bien pu faire pour que je vienne leur poser a eux une pareille question... Apres hésitations, ils finissent quand meme par avancer ''Tömer'' (merci, ça j'avais déja) a Sisli (bonjour la précision !). Heureusement, j'avais déja relevé l'adresse sur une affiche dans un internet café plus performant sur le sujet que le Consulat !
Ecevit - qui bloque sur des élections anticipées - invoque comme argument qu'il y a un risque que le HADEP dépasse les 10 % de suffrages et que les Kurdes aient ainsi des représentants au Parlement. Le meme qui prétendait il y a quelques jours vouloir étonner les Européens (en faisant voter rapidement les réformes réclamées par l'UE sur les droits de l'homme) trouve visiblement normal que plus de 15 millions de citoyens turcs n'aient pas le droit a la parole... Il a suivi des cours de démocratie au PKK le Monsieur ?

Rencontres pro-Turcs

Hier avant de prendre son avion, Sandrine me conseille de souffler au PKK d'essayer la liberté forcée pour changer ses librement prisonniers... bonne idée, voila qui est fait !
Apres son départ - elle est bien arrivée, son avion n'étant pas tombé comme elle en avait la certitude - je change de chambre pour une single (15 euros avec petit dej) et téléphone a Sab qui n'est a Istanbul que pour une journée : rendez-vous dans 2 heures. Sab est comme Rino une pro-turcs enragée. Nous nous sommes connus sur un forum ou nous avons passé quelques semaines a nous incendier grave par Web interposé (pro-turcs contre pro-kurdes), jusqu'au naufrage de l'East Sea, ou nous avons préféré faire front commun contre des détracteurs de la Turquie qui n'y avaient évidemment jamais mis les pieds. Depuis, ils admettent que les Kurdes existent en Turquie et qu'ils ne sont pas les seuls responsables de 15 ans de guerre, et nous on est d'accord pour admettre que tous les Turcs ne sont pas des brutes sanguinaires. On essaie de se rencontrer, quand c'est possible, au fil des voyages des uns et des autres entre Istanbul et Paris.
Je décide ensuite d'aller manger des pates chez Gino - apres un mois de kebap, je ne m'en lasse pas - ou un serveur qui ressemble a Joe Dassin jeune s'arrange pour me passer toute la musique francaise has been qu'il a en stock : il est tellement persuadé me faire plaisir que je n'ai pas le courage de lui enlever ses illusions...

21 juillet 2002

Démocratie made in PKK

On passe (comme d'hab) pas mal de temps a la terrasse des cafés, histoire de rester a l'ombre et observer Istanbul. Ils ont déja mis des affiches pour le centenaire de la République qui aura lieu... en 2023 ! Il y a de plus en plus de vendeurs de barbe a papa sous sachets plastique, et moins drole, les jeunes commencent a se shooter a la colle. Il y a moins de gosses qui mendient dans la rue, mais comme la situation économique ne s'est pas améliorée, je suppose que la ville a pris des mesures pour montrer une façade clean aux étrangers.
La visite du musée archéologique (entrée : 5 millions) nous a fait passer quelques heures sympa., hors du temps et ''loin'' des touristes qui s'entassent tous juste a coté a Topkapi.
A part ça, l'un de mes correspondants m'appelle au secours pour que je lui fournisse une explication sur la santé mentale des dirigeants du PKK : ''Avant on nous interdissait de nous marier, maintenant on nous y oblige !'' Désolée, mais ça fait 2 ans que je tente (vainement) de leur fournir quelques notions de démocratie : ils ont appris a dire ''Avant de demander le respect des droits de l'homme, nous devrions nous memes les respecter''. C'est déja un début et j'ai bon espoir que d'ici quelques années, un esprit un peu moins obtus arrive a entrevoir et expliquer a ses petits camarades que dire c'est bien, mais qu'agir c'est mieux. Pour l'instant, ils sont malheureusement trop occupés a essayer de bazarder le HADEP (A ce sujet, si quelqu'un sait pourquoi la Cour Constitutionnelle ne s'est toujours pas prononcée, ce serait sympa de me donner l'explication) et a tenter de me faire lacher prise sur Vlad, toujours maqué depuis pres de 2 ans (j'attends avec curiosité les prochaines tentatives visant a me faire croire qu'il est librement prisonnier) et ce n'est malheureusement pas le seul...
Au fait, je tiens a préciser que les propos fallacieux contre les Dersimis n'engagent que leur auteur...

Musée archéologique

Notre emploi du temps à Istanbul traîne paresseusement. Lever tard, vers neuf heures, on se retrouve vers 11 heures à la pasta Barcelona où je mange une pizza et Roxane deux poghaça. Plus pas mal de nescafé au lait, il est bon ici, autant en profiter. Ensuite, à la librairie Robinson Crusoé où l'on trouve un nombre impressionnant de titres français et anglais. Je n'y ai pas trouvé le dernier Orhan Pamuk (je les achète presque toujours ici) mais pris un très bon polar se passant dans la Rome de Sylla.
Ensuite, Ara Café. Il vient juste d'ouvrir, en face du lycée de Galata Saray, juste à côté des PTT. Pas mal de boissons fraîches, des tables à l'extérieur, au milieu de verdure. Le quartier de Pera Galata regorge d'endroits comme celui-ci, à la fois branchés et sympathiques (la combinaison de ces deux qualités ne se trouve jamais à Paris). Après les quelques communications téléphoniques d'usage, on règle les tâches du jour : gens à voir, ou endroits.
Là nous avons passé toute l'après-midi au Musée archéologique, à côté de Topkapi Sarayi. Très agréable, bien fait, comme musée. Orient ancien, avec pas mal de vestiges assyro-babyloniens, et assez inattendu : de belles stèles de l'Arabie et du Yémen antiques, tres intéressantes par leur parenté avec l'art mésopotamien.
Puis le pavillon des sculptures gréco-romaines. Très beaux marbres, il est vrai que nous sommes ici dans la seconde Rome. Une belle sculpture d'Athéna m'a tapé dans l'oeil, une copie romaine en marbre, pas très haute, peut-être 1m20, d'un original grec du 5ème siecle. Statue gracieuse, fine. Ici je donne un truc : pour obtenir quelque chose d'un dieu grec, il faut lui toucher les genoux et le menton : aucune supplique ne peut alors être refusée par un Grec ancien ni par ses dieux. C'était le geste qui obligeait par excellence.
Ensuite, des salles sur l'histoire d'Istanbul de la préhistoire jusqu'à nos jours. Une reconstitution d'habitat paléolithique un peu caricaturale : une grotte à auvent et une hutte à branchages. Cela me rappelle irrésistiblement les cahutes qui avaient été reconstituées en juillet 2001 pour le Festival Culturel de Tunceli, censées représenter l'habitat traditionnel montagnard du Dersim. Suleyman les avait montrées d'un geste emphatique en assurant que nulle part ailleurs au Kurdistan on ne trouvait cela. J'avais failli lui dire que c'était normal, ces intellos maniérés du Botan ayant entre-temps inventé l'architecture... mais maintenant je peux assurer les Dersimis qu'à Istanbul on en trouve encore sauf que les cabanes du Paléolithique Supérieur stambouliot ont l'air un peu mieux construites.
Le soir, repas de poissons à Karaköy. Puis dernier verre au bar du Pera Palas, son fantastique décor années 30, ses grands fauteuils confortables.
Aujourd'hui, c'est pour moi le dernier jour. Je me demande combien il fait à Paris. Sûrement un peu plus frais. Ici c'est toujours 31 mais avec une humidité et une touffeur presque insupportables.

Visites traditionnelles

Hier, visite traditionnelle chez Swatch. Depuis 1999, on y fait toujours un tour pour une montre ou un bracelet, meme si c'est un peu plus cher qu'a Paris... Resto poissons non moins traditionnel sur les bords du Bosphore, ou il y avait encore le marché aux poissons il y a 2 ans, mais depuis il y a eu pas mal d'aménagements dans le coin. Dommage, j'aimais bien observer le manege des mouettes pour raffler les déchets que leur abandonnaient les vendeurs... Pour 50 millions a 2, on mange tres bien - calamars, rougets, saumon, vin qui a moins le gout de bouchon qu'ailleurs - et le cadre est agréable, d'autant que les serveurs qui commencent a nous connaitre sont ravis de venir demander des nouvelles et faire la causette. A Istanbul, je fais toujours une cure de poisson : il est frais et les Turcs savent le faire cuire, meme si les préparations sont plutot simples. Visite a la Turkish pour faire prolonger mon billet : pas simple ! La nana cherchait a modifier un vol Adana/Istanbul inexistant... comprenait pas que je ne fasse pas le trajet inverse a mon arrivée, et on a eu un peu de mal a lui expliquer que je n'allai pas retourner sur Adana rien que pour faire la modif.

19 juillet 2002

Kars - Istanbul

Je reprends apres la coupure de courant d'hier qui m'a bazardé mon dernier post.
Pour Ani, c'est loupé : je n'ai pas la moindre envie d'aller crapahuter dans la boue et sous la pluie. Le directeur s'étant assuré qu'il ne pouvait rien nous vendre, téléphone a la Turkish pour réserver nos billets (Kars-Ankara/Istanbul : 139 millions par personne).
Vu le taux de change que pratique l'hotel et que ne désavouerait pas le pire des usuriers, on regle la chambre en euros (60), avant de prendre le taxi qu'a appelé la réceptionniste et qui pratique bien évidemment la panne de compteur suivie d'un prix prohibitif. A l'aéroport, Sandrine - qui malgré nos nombreux voyages ne supporte toujours pas l'idée de prendre l'avion - sidere un serveur en réclamant un whisky, pendant que je répare mon 800si que j'ai fait tomber, sous le regard ébahi de 2 clients. Ils n'ont visiblement jamais vu de tournevis miniature, pas plus que de photographe laissant tomber du matériel d'ailleurs, mais sur ce coup la, je suis aussi étonnée qu'eux : toujours pas compris comment ça a pu arriver, mes appareils passant toujours en premier quoi qu'il arrive...
Dans l'avion, je m'apercois que la neuneu de l'enregistrement ne nous a pas donné la carte d'embarquement pour la deuxieme partie du trajet, ce qui nous obligera a faire le forcing pour ne pas louper le vol... La journée ayant mal débuté, il n'y a pas de raison que ça s'arrete : le PKK a comme prévu squizé presque tous nos contacts a Ankara et a Istanbul. Pas tous heureusement, vu que pour cela, il faudrait que leur pousse un cerveau... Fidele a lui meme, il continue d'ailleurs a maquer, menacer et emprisonner Vlad (surnom donné par Sandrine vu que ''Poussin'' donnait des allergies au Parti) : pas capable de comprendre qu'il est hors de question que l'on cède sur ce point.
A part ça, Istanbul est chaude et j'ai comme des la premiere fois que j'y ai mis les pieds, l'impression de rentrer a la maison. L'hotel nous accueille comme d'hab avec de grands sourires (ils ont toujours une chambre pour nous) et le réceptionniste tient a nous baiser la main, avant de se précipiter pour monter nos bagages... Pour une fois, je ne vous donne pas le nom de l'hotel (on n'aime pas voir les touristes quand on est ici), mais une chambre correcte pour 2 a Pera/Beyoglu avec petit dej, c'est encore trouvable pour 25 euros. Par contre, je vous conseille d'aller chez Gino sur Istiklal pour oublier les éternels doner/kebap...

Istanbul

Quelques jours de détente avant le retour. Toujours très chaud mais la ville est tout de même agréable à vivre. Je ne sais pas ce qu'ils font dans Sultan Ahmet (nous n'y mettons jamais les pieds) mais le quartier Pera Galata s'améliore d'année en année. Il y a de plus en plus de rues piétonnes, de cafés en terrasse, de bistro perchés dans d'incroyables immeubles Arts Déco. Ce ne sont pas, comme à Paris, d'artificielles réserves pour touristes. On y croise de tout, et la vie culturelle y a l'air bien plus intéressante. Bref, sans doute une des plus belles villes d'Europe, et pour les écrivains, l'équivalant de Paris dans les années 20.

18 juillet 2002

PKK

Retour en avion normal, c'est-à-dire que j'ai sidéré le serveur du buffet à l'aéroport de Kars en lui demandant un whisky à 11 heures du mat. S'il m'avait fait le coup du petit crétin de Cizre je lui aurais défoncé le crâne. Roxane sait que je ne suis pas d'humeur très zen quand je prend l'avion. J'ai donc passé deux heures 30 cramponnée à mon siege en maudissant jusqu'à la dixieme génération tous ceux qui m'envoient dans des pays où il faut se rendre en avion. Dire qu'il y avait un temps où l'on ne voyageait qu'en bateau... Même le Titanic, je préfère...
Maintenant Istanbul. Très chaud, très lourd, moite, plus pénible qu'à Cizre, finalement. Bakhtiar s'est tiré en Europe, je l'ai appris à demi-mots par sa famille. Vlad est très très maqué mais pas abattu du tout. Ça a l'air d'être un sacré nid de frelons la politique ici. Si les jeunes se tirent, ils ne vont plus durer très longtemps. Cela me rappelle tout à fait les débuts de l'hémorragie en 1999, quand le PKK a commencé de se barrer en couilles. Même symptomes : décomposition, affrontements, affolement, directives aussi menaçantes que contradictoires. D'ailleurs ce parti fait si peu peur aux Turcs à présent, que des Kurdes d'Istanbul, bien assimilés et très éloignés de la lutte, vous parlent tranquillement d'un parent, qui est en Europe, à Medya TV, et ce dans des lieux publics, un bistro sur Istiklal par exemple. Il y a une époque où on ne se l'avouait même pas entre membres d'une même famille. Aujourd'hui cela n'a rien d'un secret dangereux, c'est comme si on parlait de l'original de la famille, d'un exotisme charmant...
Il est vrai qu'on a peu d'exemple historique d'un parti qui se soit vendu à ce point, en baissant autant les enchères. L'idéologie tombe d'elle-même, ne laissant aucun souvenir. Les cadres ? Ils rentrent dans la vie civile, ils font des affaires (du moins pour les plus doués ou les plus mafieux), la plupart végètent. En tant qu'anciens combattants, ils ont d'ailleurs peu de faits glorieux à raconter à la postérité. Quelque chose entre "Comment nous avons été trahis" et "Comment nous avons trahi".

16 juillet 2002

Déluge

Difficile d'expliquer a l'hotel qu'on doit réellement partir : le serveur qui avait insisté la veille pour nous emmener sur la terrasse fait tout son possible pour nous retenir un jour de plus। Personne ne comprend jamais réellement ici pourquoi nous ne pouvons pas rester, et ça plaide jusqu'au bout en nous accompagnant au dolmus.
Le premier nous conduit a Igdir (50 km - 2 millions par personne - 40 mn - 46700 habitants) : il y a de la neige sur le mont Ararat qui semble en meilleur état qu'il y a 2 ans. On en profite pour manger dans un resto populaire ; quand il y en a un, c'est meilleur marché et on a une chance d'échapper aux kebap (dolma, poulet, salade, soda, thé : 4 millions). Puis minibus pour Kars (6 millions par personne - 130 km - 3 h).
Si quelqu'un cherche l'arche de Noé, il doit se trouver dans le coin : grele, trombes d'eau, orage... La foudre tombe a quelque metres du car, il fait pratiquement nuit a 17 h et les rues sont inondées. Dans ces conditions, on n'a pas franchement le choix : le taxi nous conduit au 1er hotel touristique dans une rue pratiquable. Vu le déluge et la quasi impossibilité d'en atteindre un autre, ils s'empressent de nous appliquer le top des tarifs pour une chambre correcte mais sans plus (Sim-er : 96 millions la chambre avec petit dej quand meme). Le resto pratique également des tarifs élevés, mais comme il n'est pas question de sortir...

Kars

Trois heures de car pour faire 130 km. Le record. En plus, à l'arrivée, orage et grosse pluie, une inondation monstre dans Kars, les rues envahies par l'eau, les passants avec de l'eau jusqu'aux genoux et le taxi qui doit naviguer, c'est le cas de le dire, jusqu'à l'hôtel. La région semble d'ailleurs très pluvieuse. En plein juillet, les blés ne sont pas mûrs, et ils en sont encore à faucher les prés. Comme à Bitlis, beaucoup de petits chevaux, noirs ou bais. Mais les villes ici sont tristes, austères. Si c'est ça l'Arménie, on se demande pourquoi les Kurdes revendiquent un tel pays quand ils ont des villes comme Urfa, Hasankeyf, Diyarbakir. Rino prétend d'ailleurs que Kars, c'est plus la Géorgie que l'Arménie. N'empêche qu'il y eut un gouvernement arménien à Kars dans les années 20, qui en représailles des grands massacres tua beaucoup de Kurdes si bien que les Kurdes de Kars demanderent à la SDN de les rattacher à la république turque.
Le principal intérêt de Kars, c'est Ani, la ville aux cent et une églises, comme la vantent tous les tours... en omettant de préciser qu'étant sur la frontiere arméno-turque, et donc en pleine zone militaire, il est interdit de photographier la plupart des monuments et tout se fait sous contrôle militaire. De toutes façons vu le temps gris, Roxane ne veut faire aucune photo. C'est la supériorité des peintres sur les photographes, eux peuvent représenter la beauté d'un paysage gris... Comment font les photographes quand ils veulent photographier la pluie ? Bref, demain, retour sur Istanbul.

15 juillet 2002

Dogubayazit

Ensuite, a mi-chemin, on va faire un tour au turbeh d'a coté. 2 gamins me réclament sans cesse de l'argent et finissent par nous jeter des pierres. Il a bien travaillé le PKK, euh, KADEK ! Apres avoir détruit les valeurs kurdes ancestrales, il s'épuise en luttes stériles et puériles dans des domaines privés qui ne le concerne en rien, mais laisse la population sans le moindre soutien apres l'avoir conduite au marasme. Depuis l'arret de la guérilla, les jeunes n'ont plus d'exemples, plus de valeurs morales a suivre et la situation économique qui a empiré de façon dramatique en quelques mois n'arrange pas les choses...
En rentrant - 8 km a pied avec le matériel - pas la moindre envie de partir vers l'étape suivante. Mais on ne regrette pas : on a trouvé les 1er dolma en un mois !

Ishak Phasa

Apres le petit dej - lamentable pour le standing 3 étoiles de l'hotel - un des serveurs tient a nous conduire sur la terrasse pour prendre des photos du mont Ararat. Les escaliers n'étant pas éclairés (2 étages sont en travaux), il ne trouve rien de mieux a faire que d'allumer un morceau de carton qui trainait par terre. Sont mignons les Kurdes quand ils veulent tout bien faire : il a failli mettre le feu a l'hotel, et on a eu de la chance de ne pas finir asphyxiées...
Pour monter a Ishak pasa (5 millions l'entrée), on prend un taxi (10 millions - 7 km). La derniere fois, on avait testé un tour Ishak pasa et village Ararat : l'arnaque ! Le soit disant dernier village n'était qu'un bidonville au bord de la nationale, je n'ai pas eu le temps de faire toutes les photos que je voulais du palais et le chauffeur nous a carrément empechées d'entrer dans le turbeh d'ahmedé Khani : tout juste si j'ai pu faire 5 ou 6 photos de l'extérieur...
La, on commence par Ahmedé. Pas de chance avec lui : ça ne m'est arrivé qu'une fois en Ecosse, mais en voulant recharger un appareil (j'en ai 3 en permanence), j'ai ouvert le mauvais... travail a refaire, sans compter que je suis a court de pellicules.
En sortant, un cadre de la déesse serpent que j'ai failli retenir en arrivant, mais qui n'allait quand meme pas etre vendu en une demie heure, vient d'etre acheté. Comme je rale en français qu'on me l'a volé, un kurde (le ''voleur'') de la région parisienne se marre... et m'offre le dernier exemplaire : presque le meme, pas celui que je voulais, mais c'est gentil de sa part.

Ahmedê Khanî

Comme nous voyageons rarement en plein été, il y a une chose qui ne m'avait pas autant frappée jusque-là : c'est qu'ici, les Turcs ne se sentent pas chez eux. Qu'ils soient touristes ou fonctionnaires, ils ne se sentent pas en Turquie réellement, plutôt dans une sorte de colonie, mais les Kurdes leur sont totalement étrangers. Même les groupes d'étudiants turcs sont peu à l'aise, alors qu'il nous suffit de trois mots au milieu de ces Kurdes pour être au milieu de familiers. Un Kurde d'Irak ou d'Iran ne fait pas "en visite" à Van ou Dogubayazit, mais les touristes turcs font aussi touristes que les Européens, on ne les distingue parfois qu'à la langue. Dans les dolmush ou les otogars, deux Kurdes qui se rencontrent s'enquierent de leurs villages respectifs, de leurs maisons respectives, saluent avec de grands serçawan leurs connaissances mutuelles, et au bout de quelques instants deviennent compagnons de route. Les noms de lieux qui reviennent dans leurs bouches sont Batman, Diyarbakir, Agri... Quand ils nous parlent de villes à l'Ouest on sent qu'ils pensent "là-bas, en Turquie..." Jamais entendu dire "Zakho, en Irak..."
12h. Türbe d'Ahmedê Khanî. Pauvre Ahmedê. Comme Malayê Ciziri il se retrouve confit dans les tapis, les tissus verts de mauvais goût et la dévotion. Que des femmes autour, qui lisent le Coran en arabe (disons qu'elles marmonnent quelque chose en tournant les pages à l'envers). Il n'y a pas un seul de ses livres dans la salle, rien que des Corans. On a mis un turban blanc et vert sur sa tombe, et voilà, c'est une ziyaret. Qu'est-ce que tous ces gens-là savent de la religion de l'amour, perdus qu'ils sont dans leurs bigotteries ? Il y a plus d'esprit soufi sur la stèle de Mem que sur cette estrade peu esthétique avec des planches autour qui font comme une alcôve. Aucune âme ni fraîcheur dans ces lieux de pelerinage.
A l'entrée par contre, nous blaguons avec les deux mendiants estropiés de service, de vrais mendiants de l'islam, avec l'insolence et le bagoût déluré des maqamat. Puis nous raflons des portraits peints sur verre d'Ahmedê Khani sous les yeux ébahis de Kurdes venus de l'Essonne. L'un d'eux, qui avait pris un exemplaire de la déesse aux serpents (la même que j'avais trouvée à Tunceli mais aux teintes plus belles) se fait pardonner en payant pour nous un des quatre tableaux.

Muradiye - Mont Ararat

Dimanche matin, aucune pastane n'est ouverte. Pas plus de dolmus pour le chateau, comme ça, on n'a plus a hésiter : on laisse tomber et on remplace par Muradiye qui est sur notre route, malgré Orhan qui plaide pour nous retenir. Comme de toute façon c'était sur la route de Hakkari, atteindre la ruine (précise la légende de la carte) nous aurait pris du temps sans garantie d'arriver a bon port.
Le chauffeur du dolmus dont nous attendons le départ plus de 2 h (2 millions - 1 h 15 - 13.000 habitants) nous ordonne presque de nous mettre a coté de lui. Sur la route, un controle militaire nous est visiblement destiné : sympa et désireux de faire un peu la causette... A Muradiye, il n'y a pas plus de taxi que d'hotel : le chauffeur du dolmus propose de nous conduire aux chutes (12 millions), ou il n'y a évidemment pas de dolmus pour Dogubayazit (48.900 habitants). Apres quelques photos, le dolmus peut nous conduire pour 90 millions : c'est cher, mais on n'a pas franchement le choix.
Trois controles plus loin, on retrouve le Orta Dogu (40 millions la chambre - 2 lits dont un double - avec petit dej - propre, spacieuse, eau chaude a certains moments de la journée) qui n'a pas changé. Deux clients profitent sournoisement de l'habituelle pause thé a la réception pour nous envoyer une assiette de pasteque.
A 7 heures, je m'installe sur le balcon avec l'intention de photographier le coucher de soleil sur le mont Ararat... plus possible : en 2 ans, les nouvelles constructions ont trop poussé.

14 juillet 2002

Van

Saloperie de mosquée. Dire que la prière de nuit n'est pas obligatoire... Je suis sûre que le type qui braille par enregistrement sur haut-parleur à 4 heure du matin dort, lui.
Aujourd'hui, dimanche matin, toutes les pasta sont fermées. La fast food jardin ne sert que des toasts au ketchup mais on peut manger dans ces infâmes pide-döner-kebap salonu autant de brochettes que l'on veut à dix heures du matin. Ces horreurs sont toujours ouvertes, pas de danger. Roxane fume en pensant aux petits pains, vraiment très bons quand ils sont chauds. Moi je m'en fous, je prends deux toasts pour la peine. Le matin, n'importe quoi me va pourvu que ce soit consistant (donc ni tomates ni concombres) et non sucré (ils peuvent remballer leurs barquettes de confiture et de miel). Toast, kek (pour cake) poghaça, tout passe avec du nescafé. Une chose que j'aime aussi le matin c'est la soupe. Disons que c'est mieux que l'éternel assemblage fromage-olives noires. Il faut préciser d'ailleurs ce qu'ils entendent par "fromage". En gros il y a trois fromages kurdes : une espèce de machin caoutchouteux et très salé, du fromage frais assez salé style feta, et un autre qui ressemble à de la feta mais que l'on aurait laissé rancir. C'est tout.
Devant nous un Kurde d'Irak vient de passer, en grande tenue : pantalon large, veste courte assortie, turban et ceinture. Splendide et racé, le pas majestueux. Vêtu comme cela, même le plus insignifiant a des allures de sultan. Un beau Kurde, élancé comme ils sont dans les montagnes, habillé à la traditionnelle fera toujours aristocrate, à côté des plus beaux Turcs, de "belles bêtes", certes, mais qui ne sont que cela : de beaux mameluks.
Au départ pour Muradiye adieux très tristounets du petit Orhan qui sourit bravement, les yeux plein d'eau contenue. J'aime beaucoup le sourire des Kurdes quand ils sont tristes : c'est un arc-en-ciel inversé, un arc-en-ciel avant la pluie qui coulera plus tard, en cachette. Comme ils imaginent toujours que leurs émotions sont partagées il me serre le bras et chuchote : "Are you OK ? Really OK ?" Mieux que toi, pauvre agneau.
On ne peut quand même pas tous les prendre avec soi...

13 juillet 2002

Aktamar

Petit dej a l'hotel qui n'en sert pas habituellement, mais Orhan (le fils du patron) va nous chercher des petits pains et le serveur-réceptionniste nous prépare du Nescafé (on tend notre boite) pendant que l'on bavarde। Des que je fais un pas dans cet hotel, je tombe sur lui : il n'attend visiblement qu'un sourire et me demande la permission de nettoyer personnellement la chambre (dans l'état ou elle est, ça ne peut pas faire de mal).
Orhan nous accompagne a la bonne station de dolmus ou un gamin, puis sa soeur, viennent me dire bonjour... et reviennent chacun leur tour pour me serrer cérémonieusement la main। Evidemment, ils sont envoyés par papa qui me fait de grands ''coucou''.
Pour aller a Akdamar - selon les panneaux - ou Aktamar - ça c'est la carte - (43 km 1।750.000 tl), on fait un arret a Gevas (10 800 habitants), avant de prendre le feribot (3,5 millions par personne). L'ile réunit des conditions idéales : bleus du lac et du ciel, quelques jolis nuages blancs, soleil, verdure, montagnes et l'église. Enfin, tout pour se faire plaisir en photos... on va essayer de s'en souvenir demain : on va au chateau d'Hosab, visite recommandée par notre source d'info jusqu'ici un peu défaillante. Vu la photo d'un dépliant touristique et l'incompréhension d'Orhan qui prétend nous envoyer dans des lieux jolis et agréables... on hésite quand meme un peu a perdre du temps (et de précieuses pellicules), mais on a finalement décidé de faire confiance au ''spécialiste''.
Apres Aktamar, resto pour gouter les poissons du lac (+ biere et salade : 16 millions pour 2, le coin étant touristique). Pour info, il y a un camping avec des lits, des tentes en dur (!), des machines a laver et de la fud.
Au Caldiran, la chambre a été récurée (c'est la 208, au cas ou, ça peut servir) : il a du y passer la journée ! Et l'internet café nous accueille avec un éclair au chocolat : comme dit le Guide du Routard, les Kurdes sont farouches et le Sud-Est dangereux।
Au fait, le panneau de Van - selon Sandrine qui ne sait plus au juste combien elle a vu de zéros - prétend qu'il y a 226 000 habitants, et dans les ''divers'', je tiens a signaler que les propos fallacieux envers le HADEP n'engagent que leur auteur...
Bon 14 juillet !

Hadi

Roxane me demande d'expliquer Hadi. Le phénomène Hadi... Bon, c'était en septembre 2000, dans un dolmush qui nous emmenait de Batman à Van. Presque aucun passager, mais parmi eux Hadi. Un jeune de Batman qui est venu nous rejoindre à l'arrière du bus, s'est assis à côté de moi et a laissé trainer sa main. J'explique pour les Européennes, ça peut servir : ici, ce sont les filles qui font les avances et donc qui prennent la main des garçons, et quand ils jouent leurs demoiselles effarouchées elles doivent insister, et quand ils partent en courant elles leur courent après, ameutant père et frères au besoin... Bon. Hadi a vraiment laissé trainer sa main sur la banquette pendant des kilomètres, avec une touchante bonne volonté. Il ne nous a pas lâchées jusqu'à l'hôtel (et c'est pour cela qu'on a pris le premier venu, le Çaldiran donc), s'est fait jeter par le personnel de l'hôtel, m'a appelée deux trois fois dans la nuit d'un ton dramatique (Sandrina, ez ji te hez dikim...), a recommencé le lendemain et pendant tout mon voyage, et même après mon retour, n'a cessé de m'appeler, jamais découragé. Deux ans cela a duré. Règle générale : Hadi se manifeste toujours quand j'attends un appel important et que je me précipite sur le téléphone. Par la suite, se doutant bien que je raccrochais au son de sa voix, toujours optimiste, jamais découragé, car un jour, je verrai bien où est mon destin, il a fait appeler toute la Turquie à sa place. Une amie de Diyarbakir, un copain de Batman, Kasim d'Istambul, un Ahmet de Samsun... Maintenant qu'il a cessé d'appeler (sa maman a dû le marier entre temps) ces deux derniers appellent pour leur propre compte. Ne me connaissent pas du tout mais je suis régulièrement invitée à Istambul ou Samsun. Donc un conseil : si jamais un Hadi de Batman vous demande votre numéro, sautez du dolmush, même en marche.

Sis tavuk

Je ne vous ai pas encore donné la recette du sis tavuk, alors voila : prendre des morceaux de poulet et les embrocher avant de faire en sorte de les dessecher a la cuisson. Servir avec plein de pain (au cas ou ce ne serait pas déja assez étouffant) et des gros piments (pour le cas ou vos convives bougeraient encore un peu). Avec de la soupe, l'inévitable salade, du thé et un soda : 7 millions pour 2.
Apres ce repas mémorable, on retourne au Çaldiran, mais on vous conseille moyennement si vous n'etes pas des routards entrainés (il y a quand meme de l'eau chaude). La derniere fois, il nous avait semblé mieux, mais c'est vrai qu'on venait de Mardin et de son hotel aux cafards et depuis, le temps a passé plus que l'éponge.
Ce matin juste avant de prendre ma douche (en tenue d'Eve évidemment ), je leve par hasard les yeux au dessus de la porte (il y a une petite vitre qui donne sur le couloir a environ 2,50 m du sol pour donner de la clarté) : un mec était en train de zyeuter. Le temps de m'envelopper de mon drap, il est trop tard pour ouvrir la porte et le coincer.
Une demie heure plus tard, quelqu'un frappe. Sandrine se dévoue pour passer un jeans et tombe sur un jeune qui d'un air tres stylé explique en anglais qu'un type avait regardé dans la chambre et qu'ils s'en étaient occupé. Aux gestes joints a la parole, on ne sait pas s'ils en ont fait de la charpie ou du kebap ! C'est vrai qu'ici ils commencent a avoir l'habitude : la derniere fois, ils ont joué les videurs pour nous débarrasser d'Hadi (Sandrine doit etre en train d'expliquer).
Je rassure les filles quand meme : en Turquie, ce genre d'incident est extremement rare. Il y a toujours quelqu'un pour vérifier qu'on ne vous embete pas et si ce n'est pas le cas, n'importe quel passant se fera un plaisir de dégager l'intrus. Meme dans les hotels, un turc ne peut rentrer dans la chambre d'une femme si ce n'est pas la sienne : meme la il hésite, mais c'est pour d'autres raisons.
Ca doit etre l'air de Van qui provoque ces mésaventures : il y a 2 ans, dans les marais pres du lac, 3 jeunes nous ont suivies pendant au moins une heure. C'est courant, il y en a toujours au moins un pour surveiller que tout va bien, on n'y fait meme plus attention. On essayait de trouver un chemin pour sortir du dédale des marécages, quand quelqu'un me saute dessus... et me fait un bisou dans le cou avant de s'enfuir. C'était un grand d'au moins 13 ans ! Bon, une autre fois, je vous raconterai les petits vieux délurés.

Aktamar - Camping Restaurant

Parfois des enfants au visage d'ange entre leurs parents aux faces irrémédiablement sans âme et bovines. On se demande comment cela se fait. Et à partir de quand et pourquoi ils vont un jour troquer leurs traits fins et leurs yeux éclairés, initiés, contre les mufles apathiques de leurs géniteurs. A la boutique-souvenirs d'Aktamar, on ne trouve aucune carte postale d'Aktamar mais 200 du temple d'Athéna à Assos et un sac en tissu décoré des portraits des héros hindous Rama et Sita. En face, au restaurant, il y a des vues d'Akatamar mais qui ont dû passer au moins 5 ans sur les étals, en plein air. Et après ça on me reprochera de ne jamais envoyer de cartes postales...

Eglise d'Aktamar

Maintenant je lis Henry Corbin en détail et je vois avec une grande satisfaction que ses idées sur l'imamisme permanent, presque anté-islamique du monde iranien rejoignent bien mes théories sur les dragons kurdes et la parousie du 12ème imam। Cette idée du Sauveur, de l'astre caché est récurrente aussi chez les Kurdes. Il suffit de relire Khani, cette attente qu'un astre surgisse pour les Kurdes, un padichah qui les sauveraient des méchants... Les dragons sur la porte du monastère de Mardin ne m'étonnent pas au regard de la collusion entre le sauveur chrétien, le mahdi et le Saoshyan de l'ancien Iran (l'Imam est parfois appelé le second Christ).
Sur l'église arménienne d'Aktamar, on voit d'ailleurs ces serpents et ces lions। Sous la figure du Christ tenant les Evangiles, celles de Cem trônant jambes croisées, coupe en main (en tous cas le geste y est). Sur une stèle funéraire, la croix en place de l'arbre de vie mésopotamien se termine à la base par deux têtes de dragons très stylisées rappelant en tous points ceux d'Erzouroum. Quand on pense que certains appellent cela "art seldjoukjide" je ricane...
Des motifs mésopotamiens sont en bonne place, telle cette figure de saint entre deux lions (cf. le Maitre des Animaux) et des animaux affrontés se tenant sur deux pattes arrières, tout à fait comme ceux du Mitanni et du Louristan. Pour figurer la baleine de Jonas, on a repris la forme du dragon des Eaux.

Van

Ce matin, Roxane qui sortait de la douche pousse soudain un aboiement en direction de la porte. Un type s'était perché tout en haut et la regardait par la vitre, en tenue d'Eve. Il a vite déguerpi. 10 minutes plus tard, on frappe à la porte. La barbe. Je contemple mon pyjashort. A cette heure-ci c'est peut-être la police ? En soupirant j'enfile un jean et vais ouvrir. Un jeune Kurde me salue et me demande si un homme est bien venu regarder à notre porte tout à l'heure. C'est exact. Tant mieux, parce qu'ils me fait comprendre qu'ils lui ont déjà cassé la gueule en bas. - Oh, very nice. Et que si on a encore besoin.... Très aimable à vous, merci. Du coup en descendant ils étaient tous aux petits soins. Bien que ce fût indiqué kahvalti sur la carte, il n'y avait pas de breakfeast, mais ils pouvaient le faire. "Pouvaient le faire" (Quand ils parlent comme ça ils me font penser au HADEP). Donc on a commandé des petits pains et on a descendu notre Nescafé tandis que Roxane partait acheter du lait. Du coup, ravi de cette dînette, Orhan (c'est le nom du fils du patron) s'est attablé avec nous et on a pris un nes ensemble.

12 juillet 2002

Voyage

Dolmus pour Tatvan, puis taxi pour prendre le feribot pour Van : yapa (bien sur) ! On a plus de chance a l'otogar, un autocar va partir (142 km - 4 millions par personne - 2 h 15). A Baladan, les militaires nous arretent pour un controle de papiers qui ne semble concerner que les Turcs. Ca tombe bien, le petit dej étant loin, on en profite pour se précipiter sur une boutique et ses sachets de pistaches et de noisettes.
A Van, on indique le Çaldiran au taxi : pas pour ennuyer les Kizil, juste parce que nous y avons nos petites habitudes (la derniere fois, on leur a fait laver une tonne de linge : service impec et bon marché). On nous attribue la meme chambre qui ne s'est pas arrangée en 2 ans, mais les draps sont propres et il y a de l'eau. C'est loin du palace, mais correct pour 12 millions, le principal inconvénient étant la mosquée tres proche et son appel a la priere a 4 h du matin.
Nous n'avons pas grand chose a faire ici : déja vu la citadelle et constaté par 2 fois que les célebres chats ont completement disparu. Ah si quand meme : l'internet café est sympa (on peut meme y manger) et permet de se débarrasser de l'inévitable pot de colle qui nous a abordées a la sortie de l'hotel. Reste plus qu'a mettre mal a l'aise le type qui s'est assis a coté de moi pour lire tranquillement ce que j'écris...

Bitlis - Van

Aujourd'hui, ce fut surtout une journée de transport. Le musée de Bitlis, quand il n'est pas fermé, doit faire face à un incendie de prairie, avec un beau camion rouge muni de sa grande échelle et un seul pompier qui regarde paisiblement le feu s'étendre sur les stèles seldjoukides tandis que le conservateur se tord les mains de désespoir en suppliant d'appeler la police. Il doit soupçonner avec raison les petits mendiants qui rançonnent agressivement les quelques touristes qui veulent s'y risquer. Quant aux stèles, c'est comme les tombeaux kumbet : quand on en voit une on les a toutes vues.
Ensuite dolmush jusqu'a Tatvan et bus jusqu'à Van. Encore un contrôle de la jandarma mais qui ne semble pas viser les touristes. Le gradé repousse ma carte d'un air dédaigneux. Sinon la route est bien belle.
Ici nous campons à l'hôtel Çaldiran. Il n'a vraiment pas changé depuis deux ans. Disons qu'après l'hôtel Seçuklu ça donne le frisson. Bien que tout soit objectivement propre, l'âge lui a donné une patine qui a la couleur de la crasse. Très désagréable. Mais Van n'est pas le plus beau coin à voir par ici.

Ahlat

Ce matin, direction musée : il est fermé évidemment। Visite de l'ancien cimetiere qui se trouve a coté, mais des gosses crampons m'empechent de travailler et impossible de s'en débarrasser. Ils réclament de l'argent comme les ont si bien habitués les abrutis de touristes qui reglent leurs problemes de conscience en payant pour la moindre photo. Résultat, quelque soit la situation économique des parents, les gamins passent leurs vacances a brailler ''money'' aupres des étrangers. Comme ils brament que c'est pour Apo, on doit se retenir de leur conseiller d'aller taxer le Croissant Rouge d'Europe qui apres nous avoir seriné en 1999 pouvoir leur envoyer un million de francs par an, simplement pour la France, nous a généreusement confié 3.000 F pour aider toutes les familles des bidonvilles d'Istanbul !
Histoire de continuer a nous agacer, des herbes piquantes s'accrochent a chaque pas et remontent entre les vetements et je dois faire le forcing aupres des gamins qui ont fermé la grille pour nous empecher de sortir : apres consultation, ils préferent éviter de m'affronter et liberent le verrou extérieur. Dix minutes apres, ils ont réussi a mettre le feu aux brousailles en allumant leurs cigarettes : la moitié du cimetiere passe 2 heures a cramer. On décide de rentrer chercher les sacs a l'hotel...

11 juillet 2002

Farniente

Je regarde le jour se lever vers 5 heures : l'orage d'hier soir a lavé le ciel et le lac redevenu calme scintille। La ballade photos turbeh devrait donner de jolies couleurs... Les habitants n'arretent pas de nous appeler : ils nous ont surnommées ''touristes'' et certains nous ordonnent pratiquement de venir. Quand on n'obtempere pas, ça donne des ''welcome tourist'' impératifs suivis de ''welcome tourist'' suppliants... mais on a du travail et on ne peut s'arreter chez tout le monde.
Hier, nous sommes restées pratiquement toute la journée sur la terrasse de l'hotel। Les hommes nous envoient leurs enfants avant de nous demander de nous marier ici : les enfants, c'est la pub pour nous montrer qu'ils peuvent en faire de tres bien. Comme nous refusons d'aller nager avec eux, ils organisent une séance de streap : ceux qui n'ont pas de ventre nous le font remarquer et se moquent des autres, avant de nous montrer comment ils nagent bien et loin. Certains ont d'ailleurs du mal a revenir, mais bon... ils se rattrappent avec des roses.
Aujourd'hui, Tatvan avec l'intention d'aller a Aktamar, mais nous sommes parties trop tard pour arriver avec assez de lumiere pour les photos : on en profite pour rattrapper le retard du blog. Les news annoncent une crise politique avec de probables élections anticipées avant la fin de l'année : pas génial pour les réformes pour l'UE, ça. Ce n'est peut etre pas franchement le moment idéal pour changer quoi que ce soit au HADEP : un jeune a encore approuvé le papillon de ma montre aujourd'hui et quand on voit la déroute provoquée par le changement de nom du PKK chez les Kurdes qui n'y ont encore rien compris, ça risque de créer une véritable épidémie de méningite !

En route pour Ahlat

Donc dolmus pour Ahlat (36 km - 2 millions - 30 mn - 21 700 habitants) ou un jeune vient nous souffler ''Kurde, PKK, guérilla'' et ou le chauffeur met a fond de la musique kurde et nous fait comprendre qu'on DOIT se mettre devant a coté de lui. On note au passage que personne n'a entendu parler du KADEK dans le coin... Le lac est magnifique et se prend pour la mer le temps d'une nuit : vagues, nuages, vent et orage. Nous sommes a l'hotel Selçuklu (30 millions avec petit dej) : la chambre (vue sur le lac) est spacieuse, il y a un joli balcon, un café, un bar, un resto, une terrasse ombragée, tres peu de touristes turcs et aucun européen. C'est un coin parfait pour des vacances et bien plus calme que Van... On décide illico qu'on a bien mérité de faire une halte d'un ou 2 jours. Au resto : salade russe, aubergines, piments frits (ça change), agneau et vin (Efes : salut toi, tu vois il n'y a pas que la biere qui porte ton pseudo !) : 18 millions. Le serveur nous apporte a chacune une splendide rose rouge : sont vraiment fleur bleue, il y a des coeurs partout, meme les concombres il faut qu'ils leur donnent une forme romantique...

Bitlis

A Bitlis, les Kurdes n'arretent pas de nous interpeller pour discuter et boire du thé : ils sont contents d'avoir leurs 2 touristes। Pas comme l'hotel ou ça cafouille a la réception... j'ai l'impression que nous rentrons trop tot. Exact ! Dans la chambre (pas faite), le téléphone a été déplacé et on a du déranger un ''as'' du bricolage en plein travail : peu de chances que la tentative de dérivation des cables téléphoniques puisse servir a grand chose... a part se prendre les pieds dedans ! Je suis sure que l'initiative vient des James Bond 000 de Siirt.
Le lendemain a la pastane, c'est un vrai défilé : militaires intimidés et keufs en civil qui confirment ''touristes Siirt''. Quand des mouchards nous posent des questions sur le pourquoi de notre présence, les Kurdes nous soufflent la bonne réponse : touriste...
Avant de partir, je rends au réceptionniste la bobine de fils électriques qu'ils ont oubliée dans la chambre। Le pauvre essaie de me faire comprendre qu'il n'y est pour rien et pousse un soupir de soulagement quand je lui désigne du regard les 2 flics en civil que nous avons fait attendre le matin pendant 3 heures a la pastane.
Vu le flicage, les photos des montagnes, ce sera encore pour une prochaine fois : je n'ai pas de chance avec Bitlis। Les keufs viennent donner des consignes au chauffeur du dolmus dans lequel les Kurdes murmurent qu'on est de leur coté et venues pour eux.
C'est bien la premiere fois qu'on se fait pister d'une ville a l'autre et ça devient franchement ridicule. Bonjour l'image de la Turquie a cause de quelques zozos s'ils font le coup a des touristes modele courant !

Annonce

Roxane, qui n'arrive pas a passer ses posts me demande de faire une annonce : Rino, nous serons a Istambul vers le 17 juillet. Roxane te demande de lui trouver une boutique photo avec des pellicules en bon état. A++, bises.

Totalitarisme

Réflexions en vrac sur le totalitarisme kurde et turc : On peut dire que les Kurdes n'ont pas eu de chance, coincés entre les deux. L'essence d'une politique totalitaire, selon Hannah Arendt est "peu importe le résultat". De ce fait, l'état turc a détruit une appréciable portion de son territoire, a couvert ses villes de bidonvilles, a laissé le pays se gangréner par la mafia et le cancer politique de la répression. Le combat du PKK n'a jamais adopté une réelle ligne politique, comme me le faisait remarquer A. qui s'en étonnait : "Tout le monde était en dessous de la ligne ou bien contre mais on ne pouvait jamais être conforme à la ligne, car elle n'existait pas." Normal, si l'on admet que dans un monde totalitaire les directives et les amendements sont de nulle valeur par rapport à la parole fluctuante d'un chef. Et là encore, peu importe le résultat, les acquis politiques. Il faut avant tout de ne jamais dévier de l'idéologie. On en arrive à cette absurdité en 1995 de représentants du parti qui déclaraient fonder leur état en turc plutôt qu'un état kurde qui ne serait pas conforme "à la ligne". Bref l'intransigeance turque faisait face à un aveuglement aussi intransigeant (on a toujours l'opposition qu'on mérite ?) Au fond, la répression du parti s'est beaucoup plus exercée sur les Kurdes dissidents que sur l'ennemi turc, craint mais admiré.

Dictature - Méthodes

Autre tactique pour entretenir la terreur interne : s'arranger pour dicter des règles de vie impossibles à suivre. Ainsi la prohibition de tous rapports sexuels, de tous mariages. Öcalan savait qu'il y aurait forcément transgression. On peut supposer que c'est ce qu'il souhaitait. Car un parti totalitaire ne veut pas forger des éléments parfait mais des éléments coupables, toujours coupables, hormis son leader qui étant lui l'Homme Parfait est au-dessus de toutes les règles. Les auto-confessions n'ont pas pour but de démasquer des coupables mais d'en fabriquer. Au besoin consciemment, cyniquement, pour le bien de la Cause. Tout parti totalitaire s'articule en deux bords : l'un destiné à la façade et l'autre qui ne concerne que sa vie interne. Pour la façade, le grand public, les militants de base et les sympathisants, toute la propagande repose sur une absence de réflexion entretenue par un sentimentalisme pleurard : Les Mères de la Paix et celle des soldats tombés, les enfants, les femmes que l'on met en avant dans les manifestations, etc. Car l'attendrissement refuse toute critique raisonnée sous prétexte que l'on ne discute pas avec des gens "qui ont tellement souffert". Naturellement, les cercles internes, eux, sont régis par un grand cynisme. Peu importait véritablement la libération de qui que ce fût (peuple, femmes, masses paysannes) pas plus qu'une avancée démocratique réelle. Lors de la création du Parlement Kurde en exil, deux de ses responsables se virent signifier par Öcalan lui-même que tout ceci n'était que poudre aux yeux des Européens et que naturellement tout serait contrôlé au sommet. L'activité principale des cadres ne consista bientôt plus qu'à garder la tête hors de l'eau dans les querelles internes, les luttes de pouvoir, les nominations et désistements arbitraires, et surtout à éviter la disgrâce du chef. Et les Kurdes dans tout cela ? Ils ont été décimés en Turquie, coincés entre deux dogmes : l'un qui leur déniait toute existence en tant que Kurdes, au mépris le plus absolu des faits historiques et l'autre qui leur apprit à ne plus êtres des hommes mais des masses arriérées qu'il fallait transformer. Les deux fléaux contribuèrent largement à la destruction de la culture kurde et de son organisation sociale.

10 juillet 2002

Ahlat

Lac lumière et roses Ombres et roses avertissement Sur le bleu des larmes éprises Le calme chinois des montagnes **** ***** ****** Depuis deux jours, repos dans l'hôtel Selçuklu. On ne fait rien que faire un tour le matin et l'après-midi, à l'ombre de la terrasse qui donne sur le lac, à boire des nescafés avec le gosse de l'hôtel sur les genoux. Ici ils doivent s'étonner de ces touristes qui ne fichent rien, ne se baignent même pas, restent très correctement vêtues, ni short ni maillots. Tout cela fait très villégiature à l'ancienne mais cette pause est nécessaire : conseil de guerre, écrits, réflexion sur la marche à suivre et certaines taches plus prosaïques telle qu'une bonne lessive. Et avant tout profiter de la merveilleuse vue de ce lac que je ne me lasse pas de regarder toute la journée. Il change de couleur au moins cinq fois par jour. La Turquie est de plus en plus mûre pour la démocracie : qund un serveur a décidé de vous offrir un thé il vous le donne d'un air menaçant et il n'y a absolument rien a dire.

08 juillet 2002

Ahlat

Je résume les aventures des derniers James Bond lancés à nos trousses : en sortant de la pasta, deux keufs de Bitlis nous ont suivis jusqu'à l'hôtel où nous avons repris nos bagages। Roxane leur a rendu le cable de dérivation qu'ils avaient fixé à notre téléphone (air piteux). A la station de dolmush un flic a ostensiblement demandé au chauffeur de l'avertir que nous allions bien à Tatvan. Le chauffeur, un Kurde, n'a pas fait de zèle. A Tatvan, il nous a demandé si nous allions bien à Ahlat, et nous a indiqué un groupe de dolmush sans vérifier dans lequel nous montions. De toutes façons, nous allions VRAIMENT à Ahlat (Chef, c'est louche...).
Ahlat। Ancienne capitale mongole, où l'on battait monnaie pour tout l'empire d'Iran. La moitié de la vieille ville a disparu sous le lac. Beaucoup de tombeaux mongols et postérieurs, très iraniens. Les Kurdes parlent kurde. Il y a beaucoup de têtes rondes et de yeux très bleus. Le chauffeur passe des cassettes kurdes, dont une chanson sur Mercan. Mon keffieh a été là aussi très favorablement accueillie par de jeunes patriotes.
Ahlat est une ville tres verte, avec une chaleur modérée des plus agréables।
Tout ici est habité par le lac, comme une mer habite un pays. Un bleu incroyable, comme celui des mers boréales. Mais quand il pleut, des eaux noires, sombres. Bref ce lac donne selon le temps sa couleur à tout le paysage. Le jardin de l'hôtel a des roses anciennes, très belles, hélas sans parfum. Et les tombeaux qui fleurissent en pleine nature, simples au milieu des vergers. Il y a aussi ce bruit de ressac incessant que l'on entend de la chambre parce que le balcon donne sur le lac. Son arche de pierre rouge lui donne l'allure d'une porte de Mycènes, ce pourrait être la Méditerranée derriere, mais avec un étrange paysage de hautes montagnes. Beaucoup de grillons. Je ne me sens pas au Kurdistan ici mais si c'est cela l'Arménie j'y resterais bien toujours. Parfois un vent fou, un orage qui tourne au-dessus du lac et éclaire le soir et la nuit.

Bitlis

Berlin Pastahanesi. A Bitlis, on est quand même un peu fliquées. Je ne sais pas ce qu'ils ont bricolé avec les fils du téléphone dans la chambre d'hôtel mais ils ont tout cassé. Roxane est sûre que ça vient de ces connards de Siirt qui se la jouent James Bond. Quitte à me faire suivre, j'aurais préféré mon grizzly. Et même 10 jours de garde à vue ça ne me gêne pas (mais non A. je blague .) En plus à la pasta, entrent d'abord deux flics (grands et costauds mais pas beaux). Lassés de nous attendre à la table à côté (quand on l'a décidé on peut rester trois heures dans une pasta, autant qu'au restaurant) ils finissent par sortir et se faire relayer par les militaires, tous des appelés) qui entrent à leur tour d'abord à deux et expliquent en turc à côté de nous à un autre client : "tourists Siirt". Si on avait des doutes... Donc les autres crétins nous font suivre encore, persuadés que si notre emploi du temps parait si innocent c'est qu'on a forcément beaucoup de choses à cacher (cf. Le Grand Blond avec une chaussure noire). Je vois d'ici les appels : "Chef ! Elles reprennent un cinquieme nescafé, ça veut dire quoi ?" Pauvres petits. Maintenant il y a six militaires dans la pasta, qui font TOUS semblant de lire le journal, horriblement intimidés par nos regards hilares. Il est deux heures et nous sommes dans cette pasta depuis 11 h 30. Et tout le monde attend.

07 juillet 2002

Bitlis

Hier soir en sortant de l'internet café un type nous suit, bientot rejoint par un copain... pour nous raccompagner et nous remettre aux bons soins de la réception (de quoi je me mele ?) ! Ils sont tellement habitués a prendre les femmes en charge, qu'il leur semble inconcevable qu'on puisse se balader seule। D'ailleurs, de toute la journée on n'en a croisé que 2 dans le bas de la ville : elle préferent rester entre elles bien a l'abri de leurs maisons de la ville haute ; Bitlis est pourtant tres loin d'etre un coupe-gorge.
Ce matin, l'hotel ne servant pas de petit dej (au fait, il s'appelle Hanedan et il y a bien l'eau dans la salle de bain, mais elle est réellement glaciale), nous sommes allées déjeuner a l'extérieur (toasts au ''jambon'', oeufs, thé, soda : 2.150.000 tl pour deux). Evidemment pas de café, ce qui met toujours Sandrine de mauvaise humeur (elle ne devient fréquentable qu'apres son café) : du coup, elle est ressortie pour aller chercher une boite de Nes dans une boutique ou j'en avais repéré : maintenant, on tend la boite et ils se débrouillent pour nous trouver des tasses et de l'eau chaude. Dans la journée, je me suis trouvé du Nesquik (le matin, je préfere le chocolat) : il ne me reste plus qu'a trouver du lait et les laisser préparer le tout demain a la pastane.
Ensuite grande balade dans la vieille ville qui garde de beaux restes : beaucoup de photos en essayant de planquer les constructions récentes mais délabrées qui gachent le paysage। Les Kurdes sont toujours sidérés de nous voir passer et nous interpellent la plupart du temps en kurde : le kurmandji est parlé partout ici, contrairement aux allégations d'un certain parti qui a imposé le turc comme langue de travail... bien la peine de pleurnicher sur la langue qui ne se perd que dans l'imagination d'une diaspora geigniarde !
A part ça, dans le coin le repas habituel pour 2 est dans les 5 millions... et on vient de se rendre compte qu'on est fliquées par les Kurdes (doivent avoir peur que l'on se perde), meme en pleine journée !

Bitlis

Journée tranquille à Bitlis, après toutes ces péripéties। On est assez surpris de nous voir, mais on nous fiche la paix. Ici, on se sent plus en Arménie qu'au Kurdistan. C'est d'ailleurs facile de distinguer la frontière. Il paraît que pour tracer celle entre le Kurdistan et l'Arabistan il suffit de faire marcher un chameau vers les montagnes jusqu'à ce qu'il refuse d'aller plus loin : là commence le pays kurde. Pour l'Arménie, ce sont les premiers bouleaux qui l'annoncent. Et à Bitlis, les bouleaux, les maisons et les toits côniques des turbehs et des mosquées annoncent déjà Van et Erzouroum.
Le russe commence même à apparaitre. Dans une rue de Bitlis un homme nous a demandé "panimachie tirki, roussi ?" En tous cas la température est agréable. Autour de 30 degrés pour qui vient du Botan, c'est l'idéal.
Dans la mosquée Sharafiyye j'ai vu deux tombes récentes, deux hommes, dont un maire de Bitlis : les sharafhanoghlu. Comme quoi les grandes familles ne sont pas toutes perdues.

06 juillet 2002

Siirt - Bitlis

Ce matin, petit dej dans une pastane (on a loupé celui de l'hotel qui ne sert que jusqu'a 9 h 30)। Les petits pains étant préfabriqués et le nescafé inexistant, on ne traine pas. En sortant, l'un des abrutis d'hier est devant la boutique et nous suit jusqu'a l'hotel. Ils se relaient a 4 pour nous pister jusqu'a l'ulu camii : vraiment pas doués. On s'amuse a les semer et a les attendre pour les surprendre (sont surpris mais mauvais joueurs) : ils peuvent prétendre sans probleme a la palme des keufs les plus cons du Sud-Est. En plus, ils ont l'air d'etre vexés et de nous en vouloir ! Ils vont meme jusqu'a nous faire pister par les keufs et les militaires des différents controles jusqu'a la sortie du district (a Baykan, un keuf arrete le dolmus pour savoir si on est bien dedans) !!!
Dolmus jusqu'a Ziyaret (2 millions), puis pour Bitlis (2,5 millions) : 2 h 30, controles, changement de dolmus et arret thé compris. La route a l'approche de Bitlis (512 000 habitants prétend le panneau) est aussi jolie que dans mes souvenirs : j'espere pouvoir la photographier cette fois-ci.
Le 1er hotel (Divan : 5 millions la chambre) n'a pas de douche et sent le moisi. Un commerçant qui veut faire la causette devant sa boutique me signale qu'il y en a un tres beau a coté, ce que nous confirme un chauffeur de taxi. Le tres beau est tres vieux, tres poussiereux et tres délabré, mais les draps qui ont fait leur temps sont propres et il y a de l'eau dans la salle de bain. De toute façon, on n'a pas franchement le choix, vu qu'il semble que ce soit le top de la ville (14 millions la chambre).
Avant l'internet café, resto (kefta, soda, salade, thé : 4 millions pour 2) : un type m'arrete pour me dire que je suis çok güzel avec des gestes équivoques, ce qui est assez rare au Kurdistan. Il me rappelle Trabzon l'année derniere ou en sortant d'un dolmus, on m'a proposé avec le plus grand naturel : dolmus ? taxi ? sexe ?
Bon, avec ce qu'on avait a rattraper, il y a assez a lire pour ce soir, donc A+

Bitlis

Hier soir, à Siirt, enfin a minuit, encore une visite de keufs. Beaucoup moins de classe qu'à Silvan. Un peu gênés par la détente qui les oblige à "accueillir" obligemment des touristes qu'ils ont l'intention de fliquer tout le long de leur séjour. Comme on les avait involontairement semés dans la ville en disparaissant trois heures dans un Internet Café, ils nous bombardent de questions aussi idiotes les unes que les autres. C'est finalement plus tendu qu'à Cizre, où si on ne sortait pas du rôle touriste, les services nous fichaient la paix. Là ils font flicards malveillants et franchement débiles : se mettre à 5 pour éplucher ma carte d'identité... Après en avoir fait une photocopie eux-mêmes, ils ont tous vérifié qu'elle était bien conforme à l'original... je me demande quel concours il faut passer pour être de la police de Siirt. On m'a même demandé si nous avions été au restaurant seulement pour manger. Là je n'ai pas pu me retenir de rire : Oui, et pourquoi d'autre, sinon ?
Pendant qu'ils débattaient gravement entre eux des graves décisions qu'ils allaient prendre, nous on regardait X Files à la télévision। Ecouter Mulder en turc, cela change. Le veilleur de nuit avait un masque de bois en nous regardant nous foutre de leur tête (masque qui s'est changé en tirade rageuse contre ces abrutis dès qu'ils furent partis), le patron avait l'air de nous en vouloir (peut-être l'ont-ils tenu responsable de notre disparition de 4 heures ?).
Et depuis ce matin ils n'ont cessé de nous filer bêtement : à la pasta, à la mosquée, aux otogars, aux contrôles, jusqu'à ce qu'ils soient sûrs qu'on aient quitté la région de Siirt je suppose। Quand je dis bêtement c'est que leur méthode était idiote, à se cacher sans se cacher. Soit on vous file ouvertement (pour la pression psychologique) soit on se dissimule pour apprendre des choses. Là ils étaient tellement mauvais qu'on les semait sans peine pour finir par les attendre en nous marrant. A quatre, pas à dire, ils sont doués...
Siirt est de toutes façons une ville assez nulle। D'abord on y mange mal, c'est un signe. Et qu'on ne vienne pas venir me pleurnicher la guerre, la pauvreté, gna gna gna... A Silvan c'était idem et on mange bien. C'est une question d'état d'esprit, ou de savoir-vivre. A Sivas c'était aussi médiocre, triste, cher (cela va souvent ensemble). Mais le minaret de l'Ulu Camii (1129, époque seldjoukide) est joli avec son décor de carreaux turquoise sur briques. Et bien restauré pour une fois.
A Bitlis il fait moins chaud, la ville de pierres sombres annonce Van et Erzouroum. Je ne sais pas si c'est plus détendu, depuis qu'on a posé nos bagages on est pas retournées a l'hôtel. Peut-être qu'on nous attend encore la-bas, mais si on doit encore se les taper quelques heures, on ira au bar (eux ils n'ont pas le droit de boire en service). Je lis sur Yahoo France qu'il fait 21 a Paris. C'est bien. Ici, en Mésopotamie, c'est autour de 38 et pres du lac de Van un peu moins, peut-être 28-29.

Silvan - Malabadi

Retour a la maison des enseignants ou nous attend Aziz, un prof de chimie qui parle tres bien anglais (il l'a appris tout seul). Il nous confirme que Silvan a bien changé, meme si la situation politique s'est un peu améliorée depuis 3 ans. Le probleme c'est que dans le meme temps, la situation économique s'est considérablement dégradée. Lui fait des heures sup pour s'en sortir, mais beaucoup n'ont pas cette possibilité : le responsable a tout faire du lieu par exemple qui travaille de 8 h du matin jusqu'a 10 h du soir gagne 200 € par mois, et les paysans sont employés dans les champs pour 3 millions par jour (environ 2 €). Les enfants ne suivent pas a l'école (la plupart travaillent au dehors pour survivre) et n'ont aucune motivation, ce qui provoque un affaiblissement intellectuel grave et malheureusement quasi général.
Il nous apprend que si on ne trouve plus que des kebap et des doner, c'est que les touristes ne veulent rien d'autre et les commerçants suivent... Il se désole aussi de la condition féminine : quoi que les hommes fassent ou disent, les femmes refusent de se prendre en charge meme un minimum. Elles exigent d'etre toujours accompagnées par un homme, meme pour une sortie de quelques kilometres : ça confirme les écrits d'Apo sur le sujet (dommage qu'il n'ait pas une vision aussi nette en politique) et explique aussi pourquoi on les fascine tous ici.
Le lendemain matin, pastane (10 millions : cake, petits pains... et 7 nescafés), puis on rejoint Aziz qui nous emmene chez un aga (facho parait-il) pour visiter une vieille demeure (en fait, elle n'a que 150 ans et est dans un état lamentable). Un vieux nous demande en kurde (on fait semblant de ne pas comprendre) si on connait Kendal qui est un voisin (pourquoi tu ne nous as pas dit que tu étais d'ici ???)... On va voir le FAN-TAS-TI-QUE vieux pont de Malabadi... qui n'offre qu'un intéret extremement limité, mais bon, que ne ferait-on pas pour notre institut préféré... puis les restes de la citadelle qui eux méritent qu'on s'y attarde.
Le soir, diner en plein air (j'ai froid, ce qui ne va pas arranger la fievre que j'ai depuis 2 jours) devant un match de foot avec un prof d'anglais, Aziz et le 'facho' qui semble tres content quand je fais remarquer qu'entre le drapeau (vert) dont ils m'ont forcée a m'envelopper, la couverture (jaune) qu'ils ont tenu a rajouter et la chemise (rouge) de Sandrine, on a un tres joli drapeau.
Le lendemain, nous partons pour Siirt (1 million, ça me parait un peu bizarre vu la distance) en dolmus : a ce sujet, les dolmus vous accompagnent un peu partout et n'hésitent pas a faire des détours pour conduire les passagers a leur destination. Une femme monte, mais mon voisin refuse de lui laisser la place pres de moi. Le chauffeur lui rappelle que ça ne se fait pas de s'assoir a coté d'une inconnue, mais il s'obstine : je ne risque rien, la preuve, il est haci (il devra quand meme céder sous peine de se faire écharper par la vieille qui veut absolument cette place et pas une autre) !
Sur la route, je me rends compte du pourquoi du prix du dolmus : ces abrutis nous ont embarquées pour Hasankeyf ! On leur a bien dit 5 fois SIIRT et Hasankeyf YOK, mais des que quelque chose sort de leurs schémas habituels, ils ne comprennent plus rien : on est touristes, DONC on va a Hasankeyf ! Idem au resto : ils demandent toujours si on veut de la salade et on refuse toujours. Ils en apportent quand meme vu que TOUT LE MONDE mange l'habituelle salade au resto. Avoir un seul thé alors qu'on est 2 releve également de l'exploit, ça fait d'ailleurs longtemps qu'on a renoncé...
Donc a Hasankeyf, on reprend un dolmus pour faire le chemin inverse, puis direction Siirt (86 km - 2,5 millions - 1 h 20 - 108 000 habitants). On opte pour l'otel Erdef (50 millions) pres de la mairie et du HADEP. C'est un peu cher pour le coin, mais la chambre et la salle de bain sont spacieuses et il y a la clim : a son ouverture, ça devait etre un hotel de luxe, mais depuis 1974, il s'est un peu défraichi. Le réceptionniste nous demande d'un air mauvais ou on va quand on sort pour diner. Ce pays est fantastique : les mouchards collabos sont moches et hargneux (tout juste s'ils ne portent pas une étiquette), et les keufs sympas sont de beaux gosses made in Antalya. Celui-la étant de la 1ere espece, on le remet a sa place.
Repas poulet, salade, soda (eau gazeuse), thé : pas génial (4 millions pour 2), puis internet café. Ca rame et blogger refuse une nouvelle fois de coopérer : on préfere laisser tomber. Au fait, j'en profite pour rassurer mes correspondants : je lis bien tous mes mails, mais je ne peux pas passer une demie heure a répondre a chacun (en plus juste pour une ligne), mais promis, des que ça fonctionnera un peu mieux...
En rentrant, le comité d'accueil nous attend depuis 4 heures. Discours habituel et purement pour la forme qui commence par ''Bienvenue a...'' et se termine par ''Pouvons nous faire quelque chose pour vous''. Entre temps, les éternelles questions, avec une variante : ou étions nous passées pendant tout ce temps (sont pas difficiles a semer) ? Ils demandent l'autorisation de faire des photocopies de nos papiers (diraient quoi si on refusait ???), ce qui leur prend un temps incroyable : vu l'heure, ils ont du réveiller un responsable de magasin de fotokopi... En revenant, ils passent 20 mn a comparer les originaux avec les photocopies, pour vérifier que les renseignements sont bien les memes sur les 2 documents ! Ils se font a 4 une réunion au sommet pendant qu'on est tranquillement installées et carrément pliées de rire. Le chef tient a me rassurer : il n'y a aucun probleme avec mon passeport (au cas ou j'aurais eu la moindre inquiétude et que les dizaines de controles se soient plantés).

Silvan

Retour a l'öðretmenevi ou nous attend un des reponsables, un prof de chimie, qui appartient aussi a une des plus grandes familles d'aghas par sa mere et est fils de cheikh. Du coup tout le monde l'appelle "Cheikh" bien qu'il n'en soit pas un. Avec lui nous visitons le lendemain une grande demeure kurde, un peu ruinée tout de même, qui appartient a son cousin. Il nous dit que son cousin est facho. Il faut comprendre grand propriétaire en cheville avec l'état et les gardiens de village. Lui est plutôt "patriote", c'est fréquent dans les familles d'avoir plusieurs membres dans des bords tres différents, surtout dans les grandes familles. On ne met pas tous ses oeufs dans le même panier. A l'origine, Silvan et sa région appartenait a trois familles d'aghas. Je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup changé. Pres de Malabadi, toute l'étendue des champs de coton appartient a une seule personne. Et s'ils ont brûlé les villagesdes montagnes, ils n'ont pas touché a la plaine.
Quant au pont de Malabadi, désolée Kendal mais j'avais bien raison : il est d'époque artoukide, au moins dans sa derniere reconstruction. Et bien moins beau que celui de Cizre (invisitable hélas puisque sur le check-point Turquie-Syrie-Irak). Pour la citadelle, c'est idem. Les jolies sculptures de lions et de chimeres que nous débusquons avec les gosses dans une partie de jeu de piste sur les toits terrasses de Silvan ressemblent traits pour traits aux sculptures de l'enceinte de Diyarbakir.
Le soir diner a l'extérieur dans un çaybahce (salon de thé) qui fait aussi terrain de football (20 millions de l'heure pour la location du terrain). On bavarde avec un prof d'anglais de Diyarbakir que l'on retrouvera le lendemain a la pastahanesi. Prend mon e-mail - étant donné qu'eux n'en ont pas je me demande pourquoi les adresses e-mail les intéressent - en contrepartie de son numéro de téléphone. Il parle de ses éleves, des gosses pauvres de Diyarbakir. Dit qu'ils n'ont pas beaucoup d'entrain pour apprendre. Et comment pourraient-ils ? Tous travaillent en-dehors de l'école, ils sont cireurs de chaussures, vendeurs de simit... Ils ne mangent pas bien et vont l'hiver avec des vêtements en loques et des chaussures trouées. Quant aux adultes, ils ne sont guere plus motivés par les langues étrangeres, en disant : "je ne parle déja pas bien le turc, alors pourquoi l'anglais ?" Il est vrai que l'assimilation n'est pas toujours une réussite. Deux ou trois fois, j'ai entendu dans les dolmuþ quelqu'un dire (et un homme, pas une femme) qu'il ne parle pas le turc, seulement le kurde.

Silvan, suite

Dans leur jardin, nous avons commandé une pastèque et des nescafés (des thés pour eux). Après on a bavardé à 6 (4 hommes et deux femmes) dans trois langues : turc, anglais et les souvenirs de français de Mettin. En face de moi un type en civil encore plus haut que Mustafa, barbe et cheveux châtains, yeux verts, bâti comme un bûcheron canadien mais avec le caractère d'un grizzly. Comme ils nous demandaient notre âge on leur a dignement lâché la vérité. Stupéfaction, consternation et machoires qui se déccrochent. Puis protestations énergiques . "ah non, on n'en fait que 27, c'est pas de jeu !" Il faut comprendre : ce n'est pas que ça les gêne, pour eux on a l'âge qu'on a l'air d'avoir. Le problème est qu'ils veulent être les plus vieux et en arrivent même à se vieillir exprès. Mustafa à qui l'on donnait 25 ans a protesté en avoir 31, quand même... Quand j'ai tourné la tête vers celui qui était devant moi j'ai eu droit à un sombre regard de reproche, mais alors de reproche ! tandis que ça grommelait "otuz besh" (35). Et il n'a cessé de me fixer de toute la soirée avec cette envie qui se lisait bien sur son visage de me fracasser le cendrier sur le crâne. Depuis 37 ans que je cherchais ma baffe, j'allais l'avoir. Est-ce que je ne pouvais pas attendre deux ans ? C'est exprès ou quoi ? Ensuite, naturellement on nous demande si on est mariées. Non. Et là pour m'amuser je fais un non énergique, qui voulait dire "grands dieux jamais". Le grizzly inspire un grand coup, serre les poings, tord une fourchette, et me demande calmement (en tous cas c'était bien imité) pourquoi non au mariage. On cherche, on cherche... Roxane dit "serbesti" ils ne comprennent pas, ça me revient soudain, je dis "özgürlük" (liberté). Là ils comprennent. Presque tous. La montagne humaine en face de moi resserre les poings et me dit doucement : "Et les enfants ? Çocuk ?" Sous-entendu : "pour en avoir tu seras bien obligée de te marier !." Je refais non. Pas de çocuk. Suffoqué, ne trouve plus de mots pour son indignation, il berce dans ses bras un enfant imaginaire. Ben voyons. Enceinte d'un morceau pareil, je demande une césarienne au bout de trois mois de grossesse. Mais non, özgürlük. Du coup, il rugit, pour de vrai, en resserrant une fourchette. Il rugit. Et grommelle "özgürlük, özgürlük". Jamais rien vu de plus craquant. De temps à autre me rejette un oeil écoeuré avant de se souvenir qu'il faut peut-être m'amadouer un peu (on réglera les comptes plus tard) et il essaie de me sourire, louablement. Je vois bien qu'il essayait d'avoir l'air gentil. Sauf que ça tournait au rictus et que ses mains faisaient toujours le geste de vouloir atteindre mon cou. Bref, l'homo néanderthalus qui ne rêve que de s'emparer de cette salope de pomponette pour l'attirer à grands coups de pieds dans sa caverne. Je dois dire que je trouve ça infiniment séduisant, ça repose des tourmentés chroniques existentiels. Là pas d'hésitation ni de question à se poser : si on tient à ses dents, bien sûr... Naturellement, ce type doit être un amour dans la vie. Mais après avoir traînailler 37 ans on ne sait où, venir lui dire "özgürlük" comme ça, c'est trop fort.

Hasankeyf

Nous allons faire un tour dans la paillotte d'a coté qui a recueilli 2 jeunes faucons : regard consterné de notre hote qui vient nous récupérer et nous empeche meme apres d'aller trop pres de l'eau, probablement au cas ou on en profiterait pour se sauver a la nage...
Apres un déjeuner avec du poisson (le Tigre en regorge), on se fait un tour photos pres des 2 turbeh sous un soleil de plomb. Les gosses nous réclament des stylos et nous font remarquer qu'il y a 2 touristes en short ultra mini : on les envoie leur dire 'shocking', ce qui semble porter, puisque quand on les recroise une heure apres, ils sont habillés un peu plus décemment.
Bus pour Batman (35 km - 1 million par personne - 213 000 habitants) et dolmus pour Silvan (55 km - 2 millions par personne - 73 600 habitants, avec controle des papiers 22 km avant l'arrivée). Sur place, il n'y a ni hotel, ni taxi, mais des passageres, puis le chauffeur nous supplient de venir chez eux. C'est mignon, mais pas tres indiqué étant donné qu'il faut demander l'autorisation a la polis qui s'empresse de nous proposer la maison des enseignants. Une tres belle bete d'Antalya (décidemment, ils doivent faire un élevage la-bas pour fournir l'armée et la police) nous accompagne en voiture (c'est loin, au moins 100 m) et nous invite a venir les voir une fois qu'on sera installées.
Mustafa (la belle bete) nous conduit vers une table dans le jardin (toujours bien installée la police) ou 3 de ses collegues nous rejoignent (dont une autre belle bete, mais dans un style différent). Café, pasteque... Mustafa veut une adresse internet et me note son nom et l'adresse de la caserne pour qu'on lui envoie une photo. Ca tombe bien, il en a une de lui qu'il me tend en vérifiant que je la range bien dans mon portefeuille : ça, pas de danger, ça peut toujours servir pour un prochain controle... Comme la turkish polis n'est absolument pas directive, il m'apprend d'un ton ferme que je dois me laisser pousser les cheveux... pas possible, je tiens a les avoir plus courts que les turkish policiers.
Quand ils se mettent a etre mignons, ils ne font pas dans le détail : je n'ai pas le droit de toucher a mon paquet de cigarettes (je dois prendre les siennes), ni a mon briquet (idem, il est la pour me les allumer), et il envoie meme un petit jeune au ravitaillement : un paquet de longues pour lui, de normales pour moi : observatrice en plus la turkish police ! Apres les questions habituelles : job, age (ils sont tellement sidérés qu'on n'arrivera plus a reprendre notre sérieux de la soirée), on apprend qu'ici on est au Kurdistan (décidément, le discours officiel a du mal a passer). Grizzli (la 2e belle bete) qui grogne sur Sandrine depuis le début, mais me fait des sourires charmants, me signale qu'il faut qu'on apprenne le turc et que Mustafa, on peut l'emmener dans nos bagages (vu la taille, va falloir faire plusieurs voyages). Ils veulent savoir ou on en est avec Le Pen : visiblement toute la police turque s'est inquiétée pour nous... Avant de partir, ils nous demandent de revenir une fois qu'on aura vu Bitlis : doit y avoir un virus contagieux qui sévit chez les keufs et les militaires en poste dans le Sud-est !

Cizre - Hasankeyf

On vous avait laissés il y a 5 jours a l'internet café de Cizre, donc je reprends a la sortie. Evidemment, aucun taxi en vue : on demande donc a un commerçant qui nous a abordées, ou en trouver un. Visiblement, a cette heure ci c'est mission impossible. Il se renseigne quand meme aupres de 2 athletes qui viennent de quitter leur voiture... qui se proposent pour nous raccompagner. Difficile de refuser : c'est la turkish police ! Vu le gabari, la voiture banalisée et le niveau d'instruction (ils parlent anglais), ce ne sont pas de simples flics. Ils tiennent a nous faire remarquer qu'ils se conduisent en "gentleman" (font de gros efforts pour tout bien faire), ce qui ne les empeche pourtant pas d'ironiser sur la brillante performance de l'équipe de France de foot.
Le lendemain matin, le taxi nous fait faire le tour des otogar pour dolmus avant de trouver le bon... a 50 m de l'hotel. Direction Sirnak (2 millions par personne - 44 km). Mon voisin est mort de tract : c'est olé olé de s'assoir a coté d'une inconnue, mais il n'y a pas d'autre place libre. Bien sur, on retombe sur le controle militaire de la veille : ils sont ravis (tout juste s'ils ne nous sautent pas au cou) et s'empressent de décharger nos bagages ! La route de Sirnak est yasak et il n'est absolument pas question de nous renvoyer comme ça : apres un café, et une engueulade en regle au petit jeune qui m'a apporté un cendrier pas assez bien au gout des chefs, ils font mumuse avec mon keffieh (mais sont moins entrainés que nous a les nouer a la kurde) et me font essayer toutes les marques de cigarettes qu'ils ont en stock.
Ensuite, réunion en haut lieu pour nous trouver un itinéraire pas yasak, puis le chef se met a dessiner un coeur sur paint shop (on l'aide a mettre la couleur), et écrit laborieusement "I love you". Tres fier de son chef d'oeuvre, mais pas sur que le message soit bien passé, il mime un coup de foudre suivi d'une scene ou il meurt brusquement d'amour... sous le regard ahuri des appelés qui n'ont jamais vu leurs supérieurs se conduire comme des gamins.
On a un peu de mal à leur faire admettre qu'on voudrait bien continuer notre voyage : ils nous invitent le soir pour manger du poisson et boire du vin, du raki, de la vodka... Ben voyons ! Avant de nous laisser partir, ils insistent pour qu'on revienne les voir une fois qu'on aura été a Hasankeyf ou nous avons finalement décidé de passer. Toutes les 5 mn, il y en a un qui tient a nous taper dans la main (ça se fait entre grands arkadas) et toute l'équipe veut venir en vacances en France. En attendant le taxi qu'ils ont quand meme fini par appeler (au bout d'une heure et demie), le chef tient a me signaler que mes yeux sont çok çok güzel : j'évite de lui laisser ma carte de visite pour qu'il continue a ignorer qu'il est en train de draguer l'OFK...
Dans un premier temps, direction Idil, puis Midyat, avant de prendre un dolmus pour Hasankeyf (Midyat-Hasankeyf : 2 millions - 40 mn - 5 500 habitants). L'unique motel étant fermé, on demande une chambre a la maison des enseignants (10 millions), malgré les insistances de 5 profs kurdes qui veulent qu'on vienne avec eux a Batman. De toute façon, ils ne sont pas surs que la police nous donnera l'autorisation de rester ici... Ben elle la donne l'autorisation la police ! Elle en profite meme pour virer les 2 profs qui nous ont accompagnées (faut pas qu'ils soient en retard pour rentrer a Batman) et est visiblement enchantée de s'occuper de nous : thé, cigarettes, avant d'aller nous chercher a manger. Ils tiennent a ce qu'on leur donne le nom français de tous les objets qui nous entourent, font les clowns et insistent pour qu'on mange des glaces une bonne partie de la nuit. On en accepte une, mais on doit batailler énergiquement pour ne pas qu'ils dévalisent tous les congélateurs de la ville. Ils promettent qu'on peut dormir tranquilles puisqu'ils vont veiller toute la nuit avec leur char (on en profite pour avoir une visite guidée) et qu'ici il n'y a pas de terreur. Ils tiennent a nous signaler qu'a Hasankeyf, il y a des Kurdes et des Arabes, mais pas de Turcs a part eux bien sur (tiens, tiens, c'est pas le discours officiel ça...).
Appel du Dersim : on nous réclame a Ovacik... Se foutent de l'état d'urgence : on est passées 2 fois, on passera bien une troisieme...
Je me réveille a 5 h 30 sans espoir de me rendormir vu la chaleur qu'il fait dans la chambre. Il n'y a pas d'eau dans la salle de bain et comme Sandrine n'ouvrira pas les yeux avant plusieurs heures (je me demande toujours comment elle fait pour dormir autant quoi qu'il arrive), je vais faire un tour avec mes appareils. Hasankeyf est toujours aussi magnifique et malgré les 600 ou 700 vues que j'ai déja de la ville, et la baisse alarmante de mon stock de pellicules, je ne résiste pas au Tigre et au vieux pont. Les Kurdes non plus ne résistent pas longtemps : un jeune vient me chercher au bout de 10 mn soit disant pour un thé. En fait, je reçois immédiatement l'ordre de partager un premier petit déjeuner, pendant que le jeune est fermement éjecté par ses ainés.
L'un m'explique fierement qu'il parle kurde, turc et arabe, alors que je ne parle que 2 langues... avant de déplorer que ça ne lui sert pas a grand chose étant donné que nous n'en avons aucune en commun. J'en prends quelques uns en photo, mais il faut recommencer : je n'avais pas prévenu et ils n'ont pas eu le temps de se faire tout beaux... donc, on peigne les cheveux et les moustaches avant de reprendre la pose. Plus ça va, plus ils se regroupent, l'air de rien, juste pour dire bonjour en passant... avant de s'installer. Le bureau des réclamations rale que ce n'est pas juste que je refuse un 3e petit déjeuner (j'en ai pris avec d'autres, y a pas de raison) et approuve chaudement mon choix d'etre restée célibataire (s'ils avaient su...).
Vu l'attroupement, j'appelle Sandrine en renfort a 8 h et demies. On se fait kidnapper par un responsable de resto (une paillotte au bord du Tigre) qui s'est emparé de mon sac photos et marche d'un air fier devant ses copains qui ne sont absolument pas invités a nous suivre.
Appel du Dersim : cette fois, on nous réclame a Tunceli...

04 juillet 2002

Silvan

Une fois arrivées à Silvan nous apprenons que l'unique hôtel a fermé. Le chauffeur du car était désespéré qu'on ne veuille pas aller chez lui. Mais vraiment désespéré, presque au bord des larmes : "Diya min heye, zaroken min hene, me tirsin, em miletê bash in." Comment lui faire comprendre que ce n'était pas par méfiance, mais simplement parce qu'une fois chez eux, pris dans leurs familles, leurs visites, leurs repas, on ne peut tout simplement plus travailler ? De toutes façons, Silvan étant encore sous état d'urgence, il fallait déclarer notre passage à la police. On y va donc, en nous disant que s'il y a un hôtel, ils sauront bien nous l'indiquer. De ce fait, quand les deux keufs de service nous ont vues, ils ont fait comme à Hasankeyf, ils ont viré les Kurdes en nous disant d'aller à l'ögretmenevi. Parfait. Du coup, nous voilà de nouveau prises en charge par ces messieurs, très étonnés de nous voir tomber du ciel mais contents qu'on se mette sous leur protection à eux. Pour une fois qu'ils ne passent pas pour d'abominables tortionnaires corrompus... En déchargeant les bagages, le chauffeur était si mal qu'il est resté au volant et a démarré sans nous dire au revoir. Encore un coeur brisé. C'était désolant mais on ne pouvait pas lui expliquer la vraie raison.
Enfin, nous nous installons sur la terrasse du grand bâtiment de la police. Toujours agréables, leurs locaux, spacieux, avec jardin... ils ne s'embêtent pas. On boit le thé pendant qu'ils téléphonent à l'ögretmenevi pour annoncer notre arrivée. Quand tout est OK arrive un troisième pour nous y emmener. Les Turcs sont une belle race (élevés au grain), il y a des beaux mecs, mais celui-ci était vraiment un des top. Grand, costaud, très brun, avec de beaux traits un peu asiatiques et des yeux en amande : Mustafa d'Antalya. Roxane prétend qu'Antalya est un vivier de belles bêtes, et il est vrai que de tout ce qu'on a vu, c'est le dessus du panier. Charmant comme tout, en plus. Il nous amène à l'ögretmenevi dans une grande Opel toute neuve qui change des taxis poussifs que l'on prend depuis des jours. Il arrange tout là-bas et avant de repartir nous invite à les rejoindre le soir dans leurs locaux pour prendre un verre. Ce que nous faisons.

02 juillet 2002

Hasankeyf

Passé la nuit ici. Cette ville est toujours aussi belle. Décidément j'ai une préférence pour les villes au bord du Tigre. C'est qu'il y a à partir de Diyarbakir jusqu'à Cizre une lumiere particulière, une vibration de la couleur qui enchanterait les peintres. Et le Tigre à Hasankeyf a vraiment une couleur particulière, ou plutôt toute une palette : bleu roi, vert Nil, turquoise, vert amande, terre de Sienne, émeraude, et tout ça dans le même fleuve, sous les mêmes piles de pont... Ça, c'est pour la peinture. Pour ce qui est de la sculpture, elle est au-dessus. Les falaises de craie sont creusées, arrondies, ajourées, par l'eau et les villageois troglodytes. Ce que j'aime c'est que les monuments et les pierres naturelles s'harmonisent absolument au lieu de se faire concurrence.
La beauté du tombeau de Zeynal Beg est égale à celle des montagnes rondes et roses derrière et la tour de la citadelle aux deux lions affrontés a la même élégance émouvante, dans son jaillissement, qu'un rocher détaché et laissé sur la rive, que l'eau a rongé. Il est neuf heures du matin et je petit-deéeune les pieds dans la flotte, dans une de ces paillottes qui depuis un mois et demi couvrent la rive droite du Tigre.
Un vrai déjeuner de Kurde : pain, dew, concombres, tomates et thé (oh, mon café noir...).
Consolation : le fleuve grouille de poissons et tous les restaurants et épiceries proposent du poisson frais. Hier, comme l'unique motel d'Hasankeyf a fermé nous avons été dans une ögretmenevi, une Maison des Professeurs, une espèce de gîte rural réservé aux enseignants. Modique mais propre et avec l'essentiel. Déjà à Ovacik le kaymakam nous l'avait proposé. Et comme à Ovacik les professeurs en vacances passent leur temps à jouer à un jeu qu'ils appellent OK (je l'écris comme je l'entends) qui semble être un mélange de loto et de domino. Ça a l'air passionnant. Les policiers y jouent aussi. Débarquées dans l'ögretmenevi j'alpague le premier venu (en me fiant à son air plus éveillé) et lui explique le probleme. Dans un anglais triplement boiteux il me dit qu'il n'y a pas de probleme, qu'il faut demander l'autorisation à la police, qu'ils accepteront sûrement et qu'en attendant on va monter nos sacs. Tres agréable jardin à l'intérieur, avec vue sur le vieux pont. Le temps de s'installer, de boire un thé, de s'apercevoir que je parle kurde. Comme d'habitude, sciés et contents. Tout le groupe était des professeurs de Batman, venus passer ici l'apres-midi. L'un d'eux était tellement impressionné qu'il a commencé de m'expliquer qu'il n'avait pas son stylo sur lui mais que sinon il m'en aurait fait cadeau. J'avoue que j'ai trouvé ça si incroyable que je lui ai fait répéter : hadi'a. Son stylo de professeur ! C'est la premiere fois qu'un professeur de mathématiques est aussi content de moi, je dois dire. Bref, entretemps, ils n'avaient plus du tout envie de nous laisser à Hasankeyf et insistaient plutôt pour que l'on vienne chez eux, à Batman. Des fois que la police nous refuserait l'autorisation, hein...
Mais dès qu'ils nous ont vus, les policiers, ils n'ont pensé qu'à une chose, virer les profs et nous récupérer pour eux tous seuls. J'ai bien vu qu'ils étaient consternés et ne s'y attendaient pas du tout. Les pauvres... Du coup on a passé la soirée avec les deux policiers qui étaient en faction de nuit sur la route et le pont moderne, assis devant leur tank. Car les policiers ici ont un tank. Ils contrôlent principalement les camions de pétrole qui viennent du Kurdistan d'Irak et roulent la nuit. Ils nous ont commandé un repas, le restaurant a dressé une table dehors et l'un d'eux, prénommé Ahmet, a fait le service, très stylé. Ensuite on a été les rejoindre autour de leur petite table à thé et on a mangé des eskimos tous les quatre, en regardant passer les camions et en répondant à leurs questions sur le foot, Le Pen (ça les a beaucoup inquiété cette histoire, visiblement). L'autre (je ne me souviens plus de son nom) nous a sérieusement expliqué qu'à Hasankeyf il n'y avait pas de Turcs, seulement des Arabes et des Kurdes.
Tous trilingues pour la plupart, même les enfants, de sorte qu'il est parfois impossible de les différencier. En fin de matinée le moxtar est venu faire la causette (je ne sais plus ce qu'est un moxtar mais c'est une fonction administrative). Il voulait avoir des nouvelles de sa ville, savoir ce que l'on pensait du projet de barrage. Nous l'avons rassuré en lui apprenant le désistement des investisseurs. Il était content. Ils n'ont pas l'air très informés sur place.
*** ***** ******* Tigre eau et pelage animal et fleuve rayures d'azur Souple échine qui s'étire sur le tapis vert du Botan **** ***** *****

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